Étant descendant d’esclave et un Africain d’Hayti, en dépit de nos différends avec la gestion catastrophique du pays, on avait partagé sans ambages le discours de réparation et de restitution exposé par le président Jean Bertrand Aristide le 7 avril 2003 au sujet de ce qu’on appelle souvent la « dette de l’indépendance » – « Hayti est le seul pays au monde où des générations de descendants d’esclaves ont versé des réparations aux héritiers de leurs anciens maîtres ». C’était une rançon, laquelle a causé beaucoup de préjudices au pays et au peuple haytien en général.

« Une telle rançon » payée par Hayti à la France de Charles X à partir de 1825 pour indemniser les anciens colons esclavagistes « a conduit à l’instabilité et à l’appauvrissement du pays», regrette le docteur Jean Fils-Aimé.

Ce 7 avril 2003, ramenant le jour de la commémoration de la mort de Toussaint Louverture, général français à Saint-Domingue mort à Jura au Fort-de-Joux en France, le président d’Hayti Jean Bertrand Aristide a activé le dossier de la restitution en posant cette question pertinente pour certains et embarrassante pour d’autres mais une interrogation légitime : « Pourquoi après 200 ans, Hayti est-il aussi appauvri ? L’une des causes, explique-t-il, est la somme faramineuse qu’Hayti a dû verser au fil des générations, un lourd fardeau souvent appelé la dette de l’indépendance ».
M. Aristide, comme Perrette de La Fontaine dans un rêve devenu réalité et [a épilogué en ces mots] comme si la valeur réclamée a été déjà restituée bâtit des châteaux en Espagne : « Que de belles écoles, de belles universités, de beaux hôpitaux, allons-nous bâtir pour les enfants ! Que de nourriture y aura-t-il en abondance ! » a-t-il promis ce jour-là à la grande foule qui y massait devant lui. Quel brin d’espoir pour un peuple qui vit de l’instabilité et de l’appauvrissement depuis des lustres !

Pourtant, bon nombre d’artistes, écrivains et intellectuels haytiens, victimes de ce qu’Antonio Gramsci appelle « la subversion des esprits » nonobstant les imperfections et faiblesses du président Jean Bertrand Aristide au pouvoir en termes de violation des droits humains, de gaspillage et du vol de l’argent de l’État (rapports de la Commission d’Enquête Administrative et de l’UCREF), du massacre de La Scierie à St Marc, des journalistes forcés de s’exiler, des politiciens et des hommes d’affaires emprisonnés et assassinés…, ont délibérément choisi de faire le jeu de la France qui a ipso facto dépêché le philosophe et écrivain Régis Debray pour faire croire que les démarches de réparation et de restitution de M Aristide ne constituent qu’une « tentative désespérée pour détourner l’attention de la dérive totalitaire, l’incompétence et la corruption du gouvernement de M Aristide ». La position d’Hayti par la voix de M. Aristide aurait été inattaquable si et seulement si « le Groupe-184 se tenait derrière Jean Bertrand Aristide malgré ses faiblesses et ses défauts en 2003 pour réclamer ensemble ce que les ennemis nous ont volé. » C’est ce que déplore le docteur-théologien Jean Fils-Aimé à son émission prisée, Lumière sur le monde.

L’on se le rappelle la promesse du président français François Hollande (2015) depuis Guadeloupe annonçant que : « Quand je viendrai en Hayti, j’acquitterai à mon tour la dette que nous avons ». Même le président Michel J. Martelly, malgré ses limites, a battu les universitaires du pays à plate couture en expliquant à M Hollande qu’« aucun marchandage, aucune compensation ne peut retaper les accrocs de l’histoire qui nous marquent si profondément encore aujourd’hui » ajoutant « que cette réparation soit profitable au peuple haytien qu’on puisse finalement enfin ouvrir les voies du développement à l’haytien qui n’a jamais eu même la chance à l’éducation ».

Christiane Taubira, ministre de la justice sous la présidence de François Hollande, est on ne peut plus catégorique sur la grande arnaque perpétuée par la France en 1825 : « On ne peut pas, objectivement, présenter le moindre argument qui prétend qu’on ne doit rien à Hayti ».

On comprend alors pourquoi M. Jean Bertrand Aristide se donne fièrement un satisfecit dans sa conversation avec le New York Times avant la publication de l’article : « Si je n’avais pas posé la question en 2003, François Hollande n’aurait probablement pas reconnu la dette en 2015. C’était une étape, dit-il, ce n’est pas terminé ».

A dire vrai, la défaite de l’armée française à Saint-Domingue laisse un goût amer et n’est jamais vu d’un bon œil par La France. C’est un fait d’armes à jeter dans les oubliettes de l’histoire. Et pour se venger de cet affront désormais eternel, cette puissance européenne esclavagiste jure l’effondrement de son ancienne colonie. L’ambassadeur Yves Gaudell (2003) ne nous rappelle-t-il pas que la haine de la France envers Hayti est permanente : « On était très méprisant vis-à-vis d’Hayti.

Ce qu’on ne pardonnera jamais, je crois, à Hayti, au fin de nous-mêmes, c’est que c’est le pays qui nous a vaincus ».
L’activation du dossier de la restitution a regrettablement provoqué un séisme à Paris, à Ottawa et à Washington. Depuis le 23 janvier 2003, une Initiative d’Ottawa conduite par Denis Paradis vise à « suspendre l’indépendance d’Hayti » et le mettre sous tutelle. Ainsi, les États-Unis, le Canada, la France, l’Union Européenne se sont complotés pour kidnapper M. Aristide et le contraindre à s’exiler.
L’ambassadeur de France à Hayti, Thierry Burkard, écrit le New York Times : « admet aujourd’hui que les deux pays ont bien orchestré “un coup” contre M. Aristide. Quant au lien entre sa brusque éviction du pouvoir et la demande de restitution, M. Burkard reconnaît que “c’est probablement ça aussi un peu” ». De même, l’ex-ambassadeur américain Brian Dean Corren accrédité en Hayti (2001-2003) a effrontément confirmé que les États-Unis ont livré un avion pour sécuriser le colis encombrant comme si la doctrine de Monroe était en veilleuse. Qu’est-ce qui se passe en Hayti sans l’approbation de Washington ?
« Comprendre le coup d’État de 2004, affirme le professeur Esaü Jean-Baptiste, c’est aussi chercher à comprendre que définitivement, Hayti n’a pas choisie d’être pauvre, mais elle s’est de préférence, appauvrie par l’oligarchie locale aussi bien que des puissances impérialistes rapaces et inhumaines ». Que dire de l’affirmation de l’économiste Etzer Émile qui a titré son ouvrage : Pourquoi Hayti a choisi de devenir un pays pauvre : Les vingt raisons qui le prouvent ? Heureusement, l’économiste Fritz Alphonse Jean qui a préfacé son livre a reconnu « la participation de nos élites dans l’affaiblissement de l’Etat-nation, et l’accompagnement complice des amis d’Haïti dans ce processus de désinstitutionalisation ».

Le vodouologue Jean Fils-Aimé pense qu’il faut réactiver cette demande de réparation et de restitution et que le président Jean Bertrand Aristide peut être encore son porte-étendard. Il déclare que : « J’implore le président Jean Bertrand Aristide. J’enjoins. Je l’exhorte à marcher sur son orgueil, sur ses blessures à faire une adresse à la nation, à tendre la main à ses opposants d’hier, qu’il réactive la question de la dette de l’indépendance. Il en a la statue. Il en a l’expérience.

Il en a la crédibilité et nous n’allons plus laisser nos ennemis nous faire croire que c’est une demande farfelue ».
Cependant, la France n’est pas le seul pays à avoir contribué pendant deux siècles à la déstabilisation et à l’appauvrissement de la mère-patrie, Hayti. En 1910 rapporte le New York Times, les banques américaines et allemandes se partagent le reste de la première Banque de la République d’Hayti fondée en 1880. Et, le 17 décembre 1914 raconte Amélie Baron, la correspondante de la voix RFI en Hayti, « Huit marines américains franchissent le seuil de la Banque nationale d’Hayti en début d’après-midi et en ressortent les bras chargés de caisses en bois remplies d’or. Valeur de la cargaison : 500.000 dollars ».

Cet or allait se reposer dans la chambre de la National City Bank de New York après l’arnaque, l’une des banques de Wall Street laquelle, quelques mois plus tard, exigea que les États-Unis envahissent Hayti. En 1922, les banquiers américains ont fait l’acquisition de toutes les actions de la BRH et ont gardé le contrôle des finances du pays pendant presque trois décades jusqu’au remboursement de la dette en 1947 par le grand visionnaire Dumarsais Estimé qui a pratiquement haytianisé la banque centrale.

À rappeler, mes chers congénères, que les États-Unis du raciste esclavagiste Thomas Jefferson, 3e président américain imposèrent un embargo sur la nation naissante depuis 1806 en déclarant qu’il faut « confiner la peste dans l’ile et l’isoler ». Il a fallu 57 ans d’isolation avant qu’Abraham Lincoln, le premier président républicain, décide de reconnaître l’indépendance d’Hayti mais les Etats-Unis ont retardé encore 30 ans pour y envoyer leur premier ambassadeur, le noir Frederick Douglass (1893) lequel avoua que : « Hayti est noire et nous ne lui avons pas encore pardonné de l’être, ni pardonné le Très-haut de l’avoir fait noire ».

Les États-Unis du président Georges W. H. Bush (1991) ont étouffé l’espoir du peuple haytien en infligeant un coup d’état ensanglanté au président Jean Bertrand Aristide, le premier président élu démocratiquement, post-dictature des Duvalier. Avec l’aval de ce dernier, un antiaméricain avéré, 23.000 soldats américains ont militairement souillé le sol sacré d’Hayti en 1994 pour « restaurer la démocratie » ont-ils vanté. Moins de dix ans plus tard, en 2004, ils vont militairement retourner et kidnapper ce qu’ils ont appelé « le père de la démocratie ».

Et depuis, via Core Group et l’ambassade américaine, le département d’État américain prend des décisions engageant la nation via leurs conzés ou hommes de service qu’ils imposent à travers des élections truquées au Palais National et au Parlement.

Le New York Times aujourd’hui pointe du doigt les ennemis mortels du pays en écrivant que : « Des générations après que les esclaves se sont rebellés pour créer la première nation Noire libre des Amériques, leurs descendants seront forcés de travailler pour un salaire dérisoire, voire inexistant, au bénéfice de tiers : d’abord les Français, puis les Américains, et enfin leurs propres dictateurs ». Et belle lurette, le docteur sociologue Hubert de Ronceray (1972) nous avait prévenu de cette élite transnationale : « Les chances de survie de tout peuple sont dans la qualité de ses élites. C’est-à-dire dans celle de ses musiciens, de ses professeurs, de ses universitaires. Si leur qualité se noie, sombre dans la médiocrité, il y a de fortes chances que dans moins d’un demi-siècle, on ne reconnaîtra plus Hayti. Et ce sera dommage pour une si grande nation, un si grand peuple ».

La journaliste de la RFI Baron note le silence complice des autorités du pays. L’historien Pierre Buteau les dénonce comme une bande d’irresponsables, esclaves de maison qui « s’intéressent qu’à la lutte pour le pouvoir ». Le secrétaire d’État américain Robert Lansing avait-il raison d’insinuer que : « La race africaine est dépourvue de toute capacité d’organisation politique ». Me Fresnel Jean dirait archi-faux : « C’est cette Hayti qui a donné le génie militaire Toussaint, le panafricaniste Dessalines, le bâtisseur Christophe, l’intrépide Cappoix, le veilleur spirituel Boyer, le nationaliste-visionnaire noiriste Estimé, le renonciateur des lois concordataires Duvalier, l’instigateur de la restitution de la double dette Aristide ».

Deux questions pertinentes et futuristes posées par le quotidien américain que chaque Haytien patriote, doté de sentiment d’appartenance devrait répondre. Elles sont les suivantes : « Et si Haïti n’avait pas été pillé depuis sa naissance par des puissances extérieures, par des banques étrangères et par ses propres dirigeants ? De quels moyens supplémentaires le pays aurait-il disposé pour se construire ? »
L’économiste français Thomas Piketty nous met sur une bonne piste en nous rappelant que : C’est « le néocolonialisme par la dette », dit-il, que nous avons rencontré. « Cette fuite a totalement perturbé le processus de construction de l’État ». La « double dette » d’Haïti — l’indemnité et l’emprunt contracté pour la payer — a contribué à précipiter Haïti dans une spirale d’endettement qui l’a paralysé pendant plus d’un siècle.

Le docteur en Relations Internationales Jean L. Théagène prône non sans raison : « qu’être Dessalinien signifie simplement qu’il n’y a qu’une seule vertu : la justice, qu’un seul devoir : le bonheur collectif, qu’un seul corollaire : le mépris de sa propre vie pour y arriver ». Chers congénères, évitons d’être clanique et haineux et soyons tous Haytiens. Enterrons la hache de guerre entre les tontons macoutes, les chimères et les bandits légaux. Le feu médecin-archéologue Daniel Mathurin parlait de l’impérieuse obligation d’une cérémonie « lave peche », serait-ce le moment opportun de l’organiser pour qu’enfin l’on devienne un seul peuple avec un seul désir pour le remboursement de notre argent aux mains sales de la France et des États-Unis pour pouvoir construire et développer notre terroir. F. Jean-Charles, Le Novateur, 3 juin 2022

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